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Ils surgissent au détour d’un virage, perchés sur un promontoire ou tapissant un coteau : les châteaux de la Vallée d’Aoste forment une constellation de pierres qui raconte une histoire millénaire. De la frontière de la vallée, aux portes du Piémont, jusqu’aux avant-postes glaciaires du Mont Blanc, ces forteresses, maisons fortes et palais se dressent comme des sentinelles du temps. En suivant le cours de la Doire Baltée, colonne vertébrale de la vallée, vous emprunterez un itinéraire où l’histoire médiévale, la stratégie militaire, le pouvoir seigneurial et la beauté des paysages alpins s’entrelacent.

Pourquoi une telle concentration de châteaux ici, dans cette vallée étroite ? Parce qu’elle fut pendant des siècles un couloir stratégique, traversé par marchands, armées et pèlerins, entre la plaine du Piémont et les cols vers la France et la Suisse. Les seigneurs, notamment la puissante famille des Challant, y bâtirent un réseau défensif et symbolique, veillant sur les passages, les ponts et les villages. Aujourd’hui, ces châteaux vous invitent à un voyage dans le temps, depuis les confins du Moyen Âge jusqu’aux raffinements de la Renaissance alpine.

Les châteaux de la Vallée d’Aoste entre Pont-Saint-Martin et Verrès

L’itinéraire commence là où la Vallée d’Aoste s’ouvre au Piémont : à Pont-Saint-Martin, village célèbre pour son pont romain à arche unique, mais aussi pour le Castel di Pont-Saint-Martin, aujourd’hui en ruines, qui surveillait le passage sur la Doire. La vallée se resserre ici en gorges, passage obligé entre les versants abrupts — un point idéal pour établir un péage, contrôler les voyageurs, et lever l’impôt.

Fort de Bard : verrou stratégique et renaissance culturelle

À l’entrée des gorges resserrées de la basse vallée, le Fort de Bard surgit comme un rempart monumental accroché au rocher. Son rôle fut toujours clair : contrôler le passage dans cette portion étroite de la Vallée d’Aoste, où la Doire Baltée s’étrangle entre deux versants. Fortifié dès l’époque médiévale, le site fut complètement reconstruit au XIXe siècle par les armées du royaume de Savoie, après que Napoléon l’eut fait raser en 1800, exaspéré par la résistance farouche qu’y avaient opposée les troupes locales.

Ce chef-d’œuvre d’architecture militaire, restauré au début des années 2000, est aujourd’hui un centre culturel de premier plan : il abrite le Musée des Alpes, plusieurs galeries d’exposition temporaires, un auditorium, des boutiques et restaurants, et même un ascenseur panoramique qui permet d’accéder aux niveaux supérieurs sans effort. Le fort accueille régulièrement des expositions de photographie, d’histoire alpine, ou de sciences naturelles. Et surtout, il offre une vue spectaculaire sur la vallée, comme s’il regardait encore passer les voyageurs, les armées… et les randonneurs.

Forts de la Vallée d'Aoste
Le fort de Bard

Château de Verrès

Quelques kilomètres plus haut, le regard est attiré par une masse austère, anguleuse, posée sur un promontoire rocheux : le château de Verrès. Construit au XIVe siècle par Ibleto di Challant, il tranche avec les constructions féodales habituelles. Ici, pas de donjon dominant, mais un monobloc rectangulaire, compact, sans fioriture, taillé pour résister aux sièges autant qu’aux siècles. Sa conception, préfigurant les châteaux-résidences modernes, étonne par son intelligence. On y accède par un pont-levis, puis par un escalier en colimaçon qui mène à une vaste salle d’armes, au centre de laquelle la lumière tombe en faisceaux étroits. Du sommet, la vue embrasse toute la vallée.

Chaque printemps, Verrès revit le temps d’un carnaval médiéval, où la figure mythique de Catherine de Challant — noble femme lettrée, propriétaire du château — est célébrée en costumes, festins et chants.

Issogne et la Renaissance valdôtaine : entre guerre et raffinement

Juste en face de Verrès, de l’autre côté de la Doire, Issogne semble à l’opposé. Alors que le château de Verrès impose sa force, le château d’Issogne charme par son élégance et sa richesse intérieure. Pourtant, tous deux furent entre les mains de la même famille : les Challant, maîtres incontestés de la vallée pendant des siècles.

Issogne est un château habité, au sens le plus noble du terme. Sa cour intérieure abrite une fontaine en forme de grenade en fer forgé, emblème de fertilité et de richesse, aujourd’hui symbole du patrimoine valdôtain. Les fresques murales, notamment celles des boutiques de la loggia (boulanger, boucher, tisserand), offrent une vision rare de la vie quotidienne au XVe siècle. Les plafonds peints, les tapisseries, les chambres meublées restituent une ambiance chaleureuse, presque intime. On y sent encore le passage des dames, le feu dans les cheminées, les parfums de l’encens.

Issogne est un chef-d’œuvre de la Renaissance alpine, où l’art s’épanouit dans un cadre encore marqué par les tensions féodales.

Les châteaux autour d’Aoste

En remontant la vallée, la Doire ondule entre vergers, forêts et rochers abrupts. On retrouve des châteaux du moyen-âge, mais aussi des résidences royales, des châteaux d’agrément, des maisons fortes et des tours de guet, parfois intégrées à des hameaux ou dissimulées dans les bois.  

À Gressan, le château de Tour de Villa abrite aujourd’hui un centre d’archives, mais conserve ses structures du XVe siècle. Discret, il est le témoin du maillage dense de résidences seigneuriales autour du pouvoir central d’Aoste.

À Arnad, la Maison Forte de Ville, bien que plus modeste, est un bel exemple de l’architecture défensive du XIIIe siècle. Ses murs épais, ses meurtrières, son plan carré en font un modèle réduit des grandes forteresses. Le château d’Introd, présente un aspect mieux conservé et illustre également l’architecture des maisons fortes de la Vallée d’Aoste.

Visite des châteaux du val d'Aoste
Fénis au coeur de la Vallée d’Aoste

Fénis : le château carte postale de la Vallée d’Aoste

A une quinzaine de kilomètres à l’est d’Aoste, surgit l’un des châteaux les plus emblématiques de toute la Vallée d’Aoste : le château de Fénis. Avec ses tours d’angle, ses mâchicoulis, ses créneaux et sa double enceinte, il semble tout droit sorti d’un livre d’images.

Mais Fénis n’était pas un château de guerre : il ne fut jamais attaqué. Construit au XIVe siècle par Aimone de Challant, c’était avant tout une résidence de prestige, un symbole du pouvoir de la famille dans la moyenne vallée. À l’intérieur, on admire une cour à galerie couverte de fresques, un escalier monumental, des plafonds peints, et une chapelle aux fresques gothiques finement restaurées.

La beauté de Fénis ne vient pas seulement de son architecture, mais de son intégration dans le paysage : posé sur une colline douce, face aux pâturages et aux montagnes, il incarne un idéal d’harmonie entre pouvoir et nature.

Restauré avec soin au XXe siècle, Fénis incarne aujourd’hui l’archétype du château médiéval de carte postale, dans un décor naturel apaisant, entre prairies et forêts.

Châteaux royaux en Vallée d'Aoste
Le château de Sarre

Sarre, sur son éperon rocheux

Sur un éperon dominant la Doire, juste à l’ouest d’Aoste, le château de Sarre se distingue par sa silhouette élancée et sa galerie crénelée surmontant les murs d’enceinte. Mais c’est à l’intérieur que se révèle toute son originalité : au XIXe siècle, il devint la résidence de chasse du roi Victor-Emmanuel II, premier souverain de l’Italie unifiée. Remanié au XIXe siècle, il mêle ainsi passé féodal et goût monarchique. Sa galerie des trophées, couverte de cornes de bouquetins et de chamois, fascine autant qu’elle intrigue par son imaginaire royal mêlant puissance et nature. Le roi Victor-Emmanuel II, passionné de montagne, y venait régulièrement pour ses expéditions dans le massif du Grand Paradis, dont il fit la première aire protégée d’Italie. Il y recevait ambassadeurs, amis de cour et guides de montagne

Aymavilles : l’élégance baroque au cœur des vignes

À l’entrée de la vallée de Cogne, légèrement au sud de la Doire, le château d’Aymavilles rompt avec les architectures militaires des autres forteresses. Ce palais du XVIIIe siècle, construit sur les bases d’une ancienne maison forte, étonne par son style baroque et son élégance symétrique, adoucie par la présence de quatre tourelles cylindriques à chaque angle, reliées par des balustrades décoratives.

Commandé par Joseph-Félix de Challant, dernier descendant de la dynastie, le château d’Aymavilles reflète l’esprit d’un siècle éclairé, plus tourné vers le confort, les sciences et les arts que vers la guerre. À l’intérieur, les salons décorés, les escaliers monumentaux et les plafonds peints témoignent d’une recherche d’harmonie et de beauté.

Entièrement restauré et rouvert au public en 2022, il accueille désormais une exposition permanente sur les collections archéologiques régionales et constitue une halte paisible et raffinée, entourée de vignes en terrasses et de vergers, dans une ambiance très différente de l’austérité féodale des autres châteaux.

Châteaux de la Vallée d'Aoste
Le château d’Aymavilles

Le vignoble du Val d’Aoste: entre murs de pierres et sommets enneigés

Dans l’ombre des châteaux et sous les pentes abruptes de la vallée, s’étend l’un des plus petits mais plus hauts vignobles d’Europe. Le vignoble valdôtain, suspendu entre 400 et 1200 mètres d’altitude, épouse les pentes de la Doire Baltée sur des terrasses étroites, soutenues par des murs de pierre sèche. Ici, chaque ceps semble accroché à la montagne, chaque grappe bercée par les vents alpins et le soleil du sud.

La diversité des microclimats et des sols, conjuguée à des cépages souvent autochtones, confère aux vins valdôtains une identité forte et singulière. Le Petite Arvine, le Cornalin, le Fumin, le Prié Blanc — dernier survivant du phylloxéra car cultivé en franc de pied — offrent des rouges puissants et des blancs minéraux, parfois surprenants, toujours expressifs.

Parmi les lieux incontournables, ne manquez pas Donnas, berceau du premier vin DOC de la région, avec ses vignes en pergola accrochées au rocher, ou encore Arvier, fief du vin Enfer d’Arvier, au nom évocateur et au caractère affirmé. Chambave et Torrette, au centre de la vallée, sont également réputés pour leurs rouges chaleureux, tandis qu’à l’est, autour de Morgex et La Salle, pousse le Prié Blanc, cépage d’altitude unique en son genre, cultivé aux pieds du Mont Blanc.

Ces vins, nés de la rudesse et de la lumière, accompagnent à merveille la gastronomie locale. Et dans chaque verre, c’est un peu de la vallée, de son labeur et de sa lumière, qui se laisse boire.

Suivre la Doire Baltée à travers la Vallée d’Aoste, c’est lire une histoire de pouvoir, de stratégie et de beauté, inscrite dans la pierre. Les châteaux ne sont pas ici de simples décors : ce sont des repères, des gardiens du passé, des témoins d’une montagne habitée avec intensité.

Qu’ils soient forteresses redoutables, palais raffinés ou maisons fortes oubliées, ces édifices racontent la manière dont les hommes ont voulu domestiquer la vallée, en faire un lieu de passage, mais aussi d’enracinement. Et aujourd’hui encore, ils veillent. Non plus sur les armées, mais sur les regards curieux et les âmes sensibles qui prennent le temps de lever les yeux.

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Crédit Photos:

Fénis: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:CastelloDiF%C3%A9nisJuly292023_06.jpg

Bard: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:ForteDiBardHoneAug052023_02.jpg

Sarre :https://commons.m.wikimedia.org/wiki/File:CastelloDiSarreJuly312023_03.jpg

Hagai Agmon-Snir حچاي اچمون-سنير חגי אגמון-שניר, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons