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Au nord de la Vallée d’Aoste, une vallée se glisse entre les montagnes comme une flèche tendue vers le ciel. C’est la Valtournenche, voie royale menant aux glaciers du Cervin et du Mont Rose, où l’ascension se fait autant par les sens que par la route. Depuis les vignobles ensoleillés de Châtillon jusqu’aux neiges éternelles de Breuil-Cervinia, chaque étape est une halte dans le temps, un équilibre entre nature grandiose, héritage alpin et savoir-vivre montagnard. Ici, les villages parlent de bois, de pierre, de silence, mais aussi d’audace : celle des montagnards, des guides, des bâtisseurs de haut. Suivez le torrent Marmore, remontez les vallons, et laissez-vous émerveiller.

Châtillon et Antey-Saint-André : entre vignobles et vallons suspendus

Le voyage débute à Châtillon, petite ville porte d’entrée de la Valtournenche. Posée à 550 mètres d’altitude, elle est bercée par la douceur du climat et la culture des vins de montagne. Sur les coteaux ensoleillés, les vignes s’accrochent au granit. Les cépages autochtones, comme le Cornalin ou le Fumin, donnent des rouges puissants et subtils, que vous pourrez découvrir dans les caves locales.

La vieille ville conserve des traces médiévales : ruelles étroites, passages voûtés, demeures patriciennes, et surtout le château Passerin d’Entrèves, aux tours rondes et au parc suspendu sur la vallée que vous pouvez visiter. Comme à Pont Saint Martin, vous retrouvez un pont romain. Le château d’Ussel, à la sortie de la ville, veille sur ce bourg valdôtain.

En montant rapidement, la route serpente à travers les forêts de pins et de châtaigniers pour atteindre Antey-Saint-André, charmant village à 1080 mètres d’altitude. C’est un lieu de transition, suspendu entre les pentes boisées et les sommets ouverts. Son église romane, ses chapelles rurales, ses fours à pain encore en activité témoignent de la vitalité des traditions. L’été, le village est animé par des marchés d’artisans et de producteurs. L’hiver, il devient une base paisible pour ceux qui cherchent la montagne sans la foule.

Paysage Valtournenche
Lac de Lod en Valtournenche

Torgnon et Chamois : villages suspendus entre lumière et silence

Avant de poursuivre vers les hauteurs de Valtournenche, une bifurcation discrète vous mène vers deux villages perchés, hors du temps et du tumulte. Torgnon, d’abord, posé en balcon à 1500 mètres d’altitude, est souvent surnommé le “pays du soleil”. Et pour cause : son exposition plein sud, face aux grandes crêtes valdôtaines, lui garantit un ensoleillement généreux même au cœur de l’hiver. Ce vaste amphithéâtre naturel abrite de nombreux hameaux où les rascards traditionnels côtoient les chapelles rurales et les séchoirs à pommes. Torgnon est une station à taille humaine, conviviale, qui mêle ski familial, randonnées douces, et art de vivre montagnard. Plus connue pour ses tracés de ski de fond, la station possède aussi un joli domaine de ski alpin avec de belles vues sur le Mont Cervin et les glaciers du Mont Rose.

Encore plus étonnant, Chamois, plus haut, à 1815 mètres, est le seul village d’Italie inaccessible en voiture. On y accède uniquement à pied ou en téléphérique depuis Buisson, ce qui lui confère un calme absolu, préservé de la circulation et du bruit. Les ruelles pavées, les maisons de bois, les fontaines de granit et les potagers en terrasses composent un tableau paisible. À Chamois, le temps semble ralentir. L’été, les sentiers vers le Lac de Lod ou vers le col de Nana offrent des panoramas somptueux sur le Cervin. L’hiver, un petit domaine skiable et des pistes de luge donnent à ce village suspendu l’allure d’un refuge d’autrefois, où la modernité se fait oublier.

Ces deux villages, bien que légèrement en retrait de la Valtournenche principale, méritent une halte à part entière. Ils sont le témoignage précieux d’une montagne habitée avec intelligence et sensibilité, où l’homme a su composer avec le relief, la lumière et la lenteur.

Plus beau spot photo Vallée d'Aoste: Lac Bleu à Cervinia
Lac Bleu à Cervinia dans lequel se reflète le Cervin

Valtournenche : traditions, bâtisses et cœur de vallée

À mesure que l’on grimpe, les versants se resserrent, le torrent Marmore devient plus impétueux, et les villages plus anciens. En voilà un qui apparait, avec la pointe du Mont Cervin qui le couronne. Valtournenche, chef-lieu de la haute vallée, se niche à 1524 mètres d’altitude. Il ne s’agit pas seulement d’un village : c’est une mémoire vivante de la culture alpine valdôtaine.

L’architecture y est remarquable : maisons de pierre sombre, toits de lauzes, rascards sur pilotis, balcons fleuris, et linteaux gravés. Ces demeures anciennes racontent l’habitat de montagne, pensé pour résister aux hivers rudes et aux siècles. Le cœur du bourg est dominé par l’église Saint-Antoine, dont la flèche se dresse fièrement, et par le petit musée de l’alpage, où l’on découvre la vie d’autrefois, les outils agricoles, les secrets du bois, et l’art du guidage.

Car ici, l’histoire est intimement liée à celle des premiers guides alpins. C’est de Valtournenche que sont partis les pionniers de l’alpinisme du XIXe siècle, comme Jean-Antoine Carrel, rival malheureux mais fidèle du Britannique Edward Whymper dans l’ascension du Cervin. Une statue et une plaque lui rendent hommage dans le village. L’esprit d’aventure est toujours là. Pour avoir une magnifique vue sur le Mont Cervin, rendez-vous au plateau de Cheneil, le long du sentier qui conduisait dans le Val d’Ayas.

L’hiver, les remontées mécaniques relient Valtournenche à Breuil-Cervinia : un accès direct au domaine skiable international qui s’étend jusqu’en Suisse, à Zermatt. L’été, de nombreux sentiers démarrent depuis le village, notamment vers le lac de Maën, miroir tranquille au bord duquel il fait bon se poser, ou encore vers les alpages de Cheneil, havre de paix inaccessible aux voitures, jusqu’au sanctuaire de la Clavalité à 2630m.

Breuil-Cervinia : les paysages de la haute montagne au pied du Cervin

La route se prolonge dans un décor de plus en plus minéral. Avant d’atteindre le dernier village, une petite aire de parking invite à la découverte du Lac Bleu, véritable joyau de la vallée dans lequel se reflète le Cervin. Bientôt, au détour d’un virage, apparaît la silhouette parfaite du Cervin – ou Matterhorn – pyramide de pierre et de neige dressée à 4478 mètres, presque irréelle. L’émotion est immédiate. Vous voici à Breuil-Cervinia, à 2050 mètres d’altitude, village de haute montagne devenu station internationale.

Le domaine skiable Cervinia-Zermatt-Valtournenche est l’un des plus hauts et plus vastes d’Europe. On peut y skier toute l’année grâce aux glaciers du Plateau Rosa, à plus de 3400 mètres. L’hiver, 360 kilomètres de pistes relient l’Italie et la Suisse. L’été, c’est un royaume pour les marcheurs et les alpinistes.

Mais Cervinia n’est pas qu’une station. C’est un balcon sur les géants. Depuis le Lac Bleu, accessible à pied depuis le village, la vue sur le Cervin se reflète dans une eau turquoise d’une pureté absolue. Des itinéraires panoramiques partent vers les refuges Oriondé ou Duca degli Abruzzi, jusqu’aux portes du Mont Rose, dont les satellites sud dominent les crêtes. Plus loin, le col de Cheneil ou le vallon de Vofrède invitent à la contemplation loin des foules.

Breuil Cervinia en été
Breuil Cervinia en été

Breuil-Cervinia : un rêve d’altitude né dans l’Italie moderne

La naissance de Breuil-Cervinia est intimement liée à un projet politique et économique ambitieux de l’Italie des années 1930. À cette époque, la haute montagne était encore domaine de bergers, de contrebandiers et d’alpinistes. Le hameau de Breuil, situé dans un vaste cirque glaciaire dominé par le Cervin, n’était accessible que par sentier, battu par les vents et les avalanches. Il comptait à peine quelques granges et cabanes de pierre.

Mais pour le régime fasciste alors au pouvoir, la montagne devait devenir un symbole de puissance, de modernité et de conquête verticale. Sous l’impulsion du sénateur Dino Lora Totino, grand promoteur du ski et ingénieur visionnaire, un projet fou fut lancé : faire de Breuil un “Cortina du Nord-Ouest”, une station internationale à la hauteur du prestige italien, capable de rivaliser avec Zermatt et Chamonix.

Les premiers travaux commencèrent dès 1934 avec la construction de la route carrossable menant jusqu’au fond de la vallée, puis la création de remontées mécaniques novatrices pour l’époque. En 1936, le premier téléski fut inauguré, rapidement suivi d’un téléphérique vers Plan Maison. La station fut officiellement fondée en 1936-1937 sous le nom de Cervinia, une italianisation volontaire du mot “Cervin” pour asseoir l’identité nationale du projet.

L’architecture initiale, encore visible dans certains bâtiments du centre, mêlait modernisme rationaliste et éléments alpins. Elle traduisait l’idéologie du moment : dominer la montagne, organiser l’espace, construire l’avenir. Ce rêve de verticalité s’est poursuivi après-guerre, avec l’essor du tourisme de masse et le développement du domaine skiable transfrontalier, aujourd’hui l’un des plus vastes d’Europe.

Un domaine d’altitude unique : entre Cervinia et Zermatt, la glisse toute l’année

À plus de 3500 mètres d’altitude, au cœur du massif du Mont Rose, s’étend l’un des rares domaines skiables transfrontaliers et permanents d’Europe : celui qui relie Breuil-Cervinia à Zermatt, en Suisse. Véritable trait d’union entre deux cultures alpines, ce domaine, accessible via le téléphérique du Plateau Rosa, offre une expérience de ski d’exception sur près de 360 kilomètres de pistes, avec vues panoramiques sur le Cervin, la Dent d’Hérens, le Breithorn ou encore les sommets du Valais.

L’hiver, il attire skieurs confirmés et amateurs de grands espaces, avec des pistes longues, larges, bien enneigées et des possibilités de freeride dans des combes naturelles. Mais c’est l’été qu’il révèle son caractère unique : grâce à la présence du glacier du Theodul, il est possible de skier en juillet et en août sur une trentaine de kilomètres de pistes ouvertes le matin. À l’aube, les équipes de ski internationales viennent y préparer leur saison, tandis que les randonneurs s’émerveillent de marcher sur la glace.

Car dès la fin de matinée, le domaine se transforme : le ski cède la place à la découverte glaciaire, avec des parcours balisés à pied et en crampons, des excursions encadrées vers les refuges d’altitude, et des visites du petit musée naturel du glacier, accessible via le téléphérique. Le panorama depuis le Petit Cervin, à 3883 mètres, est l’un des plus impressionnants des Alpes : un balcon sur 38 sommets de plus de 4000 mètres, baignés de silence et de lumière.

Ce domaine, rare et fragile, est aussi un rappel de l’évolution climatique. Marcher sur le glacier, c’est toucher du doigt une matière vivante, mouvante, et comprendre ce que signifie vraiment être en haute montagne. C’est un lieu de sport, mais aussi de conscience, où l’on ne fait pas que glisser : on observe, on apprend, on s’élève.

Breuil Cervinia en hiver
Breuil Cervinia en hiver

Gastronomie de montagne et art de vivre valdôtain

Tout au long de la Valtournenche, les saveurs sont une manière de raconter le paysage. Ici, les recettes réchauffent, nourrissent, et perpétuent l’identité d’une vallée longtemps isolée. Vous y trouverez la polenta concia, riche en fontina fondue, les soupes de seigle et de chou, les viandes mijotées au vin rouge, les charcuteries fumées, et bien sûr, les fromages d’alpage, dont la célèbre Fontina, affinés dans les caves des hameaux.

À Breuil, les restaurants mêlent gastronomie montagnarde et influences piémontaises. À Valtournenche, ce sont les petites auberges familiales qui font la fierté des lieux : menu du jour, plats faits maison, desserts à base de myrtilles sauvages ou de pommes anciennes.

L’hiver, les refuges d’altitude proposent des repas simples mais authentiques, souvent au coin du feu, avant de redescendre à la lampe frontale. L’été, les fêtes villageoises, les foires artisanales et les marchés de montagne mettent à l’honneur les produits du terroir, du pain noir aux tisanes d’herbes séchées.

Remonter la Valtournenche, c’est gravir bien plus qu’un simple relief. C’est suivre une route intérieure, de vallée en vallée, de village en souvenir, de silence en lumière. Ici, les montagnes ne sont pas lointaines. Elles sont proches, familières, accueillantes. Elles ont vu naître des guides, des familles, des traditions que rien n’a effacées. Entre bois, pierre et glace, la vallée vous invite à poser les yeux, le souffle et le cœur.

Et peut-être, au détour d’un virage, vous verrez ce que les premiers alpinistes ont ressenti : l’appel du sommet, et la beauté simple d’un monde vertical.

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Crédit Photos de cet article:

Lac de Lod: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/Lago_di_Lod%2C_Antey_%28sullo_sfondo_Torgnon%29_2.JPG

Patafisik, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Breuil: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/78/Matterhorn_-_Breuil-Cervinia.jpg

Tiia Monto, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia CommonsCervinia

Cervinia hiver: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/bf/Breuil-Cervinia_2050_m_-_panoramio.jpg

qwesy qwesy, CC BY 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/3.0>, via Wikimedia Commons

Lago Blu: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/ce/Cervino_-_Lago_Blu.jpg

SeniaFerrante, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Cervino: https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b3/007071255_Cervino.JPG

Ramsete, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons