Entre Écrins et Piémont, dans cette extrémité sud-est des Hautes-Alpes, le Queyras dessine une enclave de haute montagne restée longtemps à l’écart du monde. Protégé par ses cols, ses gorges et ses hivers, ce territoire a cultivé une forme rare d’autonomie et de beauté, où les traditions perdurent, les paysages vibrent, et les villages racontent une histoire. Blotti dans ce coin frontalier des Alpes, il déroule sa géographie secrète le long du Guil, cette rivière nerveuse et libre, qui entaille la montagne depuis le col Agnel jusqu’à Guillestre. Suivre le Guil, c’est comprendre l’âme du Queyras. C’est aussi voyager à contre-courant de la frénésie, là où la montagne raconte encore, en silence.

L’éntrée du Queyras et la vallée centrale
Guillestre : carrefour des vallées et seuil du Queyras
À la confluence du Guil et de la Durance, Guillestre se tient comme un nœud alpin. Cité d’altitude et de confluence, elle fut tour à tour place forte, bourg de foires et relais stratégique sur la route de l’Italie. Ses ruelles médiévales, son église Notre Dame d’Aquilon au clocher élancé et ses fontaines taillées dans le tuf témoignent de ce passé dense. Jadis défendue par des remparts, la ville s’adosse aujourd’hui à un versant ensoleillé, parmi les cultures en terrasse et les mélèzes.
Mais surtout, Guillestre marque l’entrée dans le Queyras : ici commence la route du Guil, étroite et sinueuse, qui s’enfonce dans une gorge spectaculaire taillée dans la roche vive.
L’entrée dans le Queyras : les gorges du Guil
La route qui grimpe de Guillestre à Château-Ville-Vieille est l’une des plus spectaculaires des Alpes. Sinueuse, vertigineuse, elle se faufile entre parois de poudingue, tunnels creusés à flanc de falaise, cascades qui traversent le bitume. Ce défilé fut longtemps l’unique accès carrossable au Queyras. Le Guil rugit en contrebas, torrent d’écume et de gravier, parfois dompté, souvent indomptable. C’est en effet un ruisseau de montagne : une entité vivante, rageuse, imprévisible. Longtemps, il fut l’obstacle principal à la pénétration du Queyras. Ce n’est qu’au XIXe siècle qu’une route fut réellement percée, sculptée à la dynamite, au prix de travaux colossaux. Avant cela, la vallée était comme hors du monde, accessible seulement à pied ou par des cols d’altitude On comprend vite pourquoi la vallée a gardé son caractère farouche.
Au niveau du lieu-dit Maison du Roy, on laisse sur la droite la route qui mène à Ceillac et on continue pendant près d’une vingtaine de kilomètres dans une vallée étroite, la Combe du Queyras.

Fort Queyras, le péage du queyras
Accroché à son éperon rocheux au-dessus du Guil, Fort Queyras, à un peu plus de 1400 mètres d’altitude, domine le verrou naturel d’accès au cœur de la vallée. Il ne s’agit pas d’un simple château féodal, mais d’une forteresse vivante, qui a épousé toutes les évolutions de la géopolitique alpine, du Moyen Âge à l’époque moderne. C’est ici, sur cette strate de poudingue abrupt, qu’au XIe siècle les comtes d’Albon — futurs dauphins du Viennois — construisirent une première enceinte défensive pour protéger la vallée du Queyras, alors rattachée au Dauphiné. Ce territoire, enclavé, pauvre mais stratégique, servait autant de refuge que de point d’observation vers le Piémont. Le château initial, en pierre brute, contrôlait le gué du Guil et percevait les péages des marchands, muletiers et pèlerins. Il fut ensuite remanié à plusieurs reprises, mais c’est sous Louis XIV, après l’annexion du Queyras par la France en 1713, que Vauban en ordonna la transformation radicale. À la place d’un simple château médiéval, il conçut un fort moderne à l’épreuve de l’artillerie, avec bastions triangulaires, fossés secs, contrescarpes, corps de garde et casernes intégrées dans la roche. Fort Queyras devint alors un élément clé du système défensif du royaume face au Piémont, verrouillant l’accès est de la vallée avec un seul objectif : ralentir une éventuelle offensive italienne. Il n’eut cependant jamais à subir d’attaque directe, et son rôle devint progressivement plus symbolique que militaire.
Au fil des siècles, Fort Queyras fut utilisé comme caserne, prison, entrepôt militaire, avant d’être désaffecté à la fin du XIXe siècle. Abandonné un temps, il échappa à la ruine grâce à des particuliers passionnés qui, dès les années 1960, commencèrent à le restaurer pierre par pierre. Aujourd’hui, il se visite librement ou en visite guidée. On y déambule entre les remparts, les salles voûtées, les anciennes prisons et la chapelle, avec en contrebas le Guil qui rugit, et au loin les toits de Château-Ville-Vieille. En été, des reconstitutions historiques, des expositions, des concerts et des jeux pour enfants font revivre ses murs. Mais au-delà de son intérêt patrimonial, Fort Queyras incarne l’histoire d’une vallée isolée, défendue, parfois rebelle, qui a toujours su préserver son autonomie. Témoin d’une époque où la montagne était aussi frontière et enjeu stratégique, il demeure une figure de pierre, veillant sur l’entrée du Queyras comme une mémoire debout.
On laisse l’embranchement de la vallée d’Arvieux et du col de l’Izoard sur la gauche et on poursuit en remontant le Guil.
Ville-Vieille : mémoire partagée et territoire pastoral
Le Guil poursuit sa course et rejoint Château-Ville-Vieille, carrefour entre vallée principale et vallées latérales (Molines, Saint-Véran, col Agnel). Ce village double, formé de deux hameaux jumeaux sur chaque rive, conserve un charme rural discret. À Ville-Vieille, l’église Saint-André, romane et trapue, évoque la permanence du sacré. À Château, l’ancienne maison commune abrite un petit écomusée.
Les randonneurs partent vers le sommet du Bucher, belvédère sur toute la vallée, accessible à pied ou en raquettes. Le pastoralisme structure toujours le paysage : brebis, chèvres, troupeaux transhumants ponctuent les pentes, et les fromageries locales perpétuent la tradition du bleu du Queyras ou de la tomme au lait cru.

La haute vallée du Guil
Aiguilles : le village des Américains
Cinq kilomètres plus haut dans la vallée, vous découvrez Aiguilles à 1470 mètres. C’est le village le plus peuplé du Queyras, mais aussi l’un des plus surprenants. Car derrière son église, ses écoles, ses commerces, se cache un passé original : celui des artisans d’ardoise, des sculpteurs, et des architectes venus au début du XXe siècle bâtir ici des villas de style éclectique, parfois d’inspiration art nouveau, italienne ou même coloniale. Ces maisons insolites bordent les rues dans une ambiance inattendue : fausses colonnes, vérandas, fer forgé, crépis colorés. Un air de fantaisie dans cette vallée austère Cette fantaisie a accompagné les Queyrassins jusque dans leurs dernières demeures : on retrouve des tombes monumentales et des chapelles éclectiques dans le cimetière. Ce sont les marques de richesse rapportées d’Amérique par les habitants d’Aiguilles partis en masse à la fin du XIXème siècle.
Des randonnées engagées mènent jusqu’au Lac du Grand Laus et au Pic du Malrif, porte d’entrée de la vallée de Cervières.
Abriès : le village reconstruit
À 1550 mètres, Abriès est un village tranquille, blotti dans un méandre du Guil. Dévasté par une avalanche en 1957, il fut reconstruit avec soin, en respectant l’architecture traditionnelle : bois sombre, lauzes épaisses, balcons sculptés. Son église romane, ses lavoirs, ses ruelles étroites lui confèrent une atmosphère paisible, presque contemplative.
Le village a conservé une âme. Dans l’église Saint-Pierre, les retables baroques contrastent avec la rusticité extérieure. Les fontaines gèlent parfois jusqu’en mai. Et les habitants se souviennent encore des « monteurs d’alpage », ces troupeaux qu’on emmenait à pied jusqu’aux pâturages du Viso.
C’est aussi un point de départ majeur pour les randonneurs : le lac du Grand Laus, miroir d’altitude niché dans une cuvette glaciaire ou le col Saint-Martin et le col d’Urine, passages vers le Piémont. À l’automne, les forêts de mélèzes se teintent de feu, et toute la région devient un tableau vivant.

Ristolas : dernier refuge avant la haute montagne
Le Guil se fait plus sauvage à mesure qu’on approche Ristolas, ultime village permanent de la vallée. Situé à 1610 mètres, c’est un village minuscule mais vivant, où les maisons résistent à l’hiver, et où le Parc naturel régional du Queyras a installé sa Maison de la nature (l’Arche des Cimes). On y découvre la faune locale (aigle royal, tétras lyre, chamois, marmotte), des expositions sur les savoir-faire, et des conférences animées par des guides de montagne.
De là, on accède à la vallée de la Combe de l’Échalp, à la frontière italienne, au pied du Mont Viso. Le pastoralisme y reste très actif, et les estives sont ponctuées de cabanes.
L’Échalp : aux portes du mont Viso
La route s’arrête à L’Échalp, hameau minuscule posé à 1695 mètres, au fond du fond. C’est ici que commence une randonnée majeure du Queyras : la montée vers le belvédère du Viso, puis le col de Valante, à la frontière italienne au pied du Mont Viso (Monviso en Italien)
Le sentier démarre tranquillement dans les prairies, le long du Guil encore adolescent. On fait un détour par un petit sentier de découverte de la flore et des arbres alpins jusqu’au petit belvédère du Viso.
Ensuite, les pins cèdent la place aux rhododendrons, puis au schiste nu.
À 2400 mètres, le belvédère du Viso offre un moment d’arrêt bouleversant. La montagne sacrée des Piémontais surgit devant vous, massive, solitaire, noire et blanche. Elle domine tout. À ses pieds, des lacs, des éboulis, des falaises. Un paysage immense.
Le col de Valante, à 2815 mètres, est un ancien passage de transhumance. Aujourd’hui encore, on peut y croiser des bergers, des bouquetins, des grimpeurs. De l’autre côté, l’Italie commence : la vallée du Pô, les refuges italiens, la via Alpina.

Le Queyras refuge des persécutés
L’histoire du protestantisme dans le Queyras est une épopée de conviction, de résistance et de persévérance dans l’adversité. Isolée par les montagnes, cette vallée reculée a longtemps servi de refuge aux minorités religieuses, notamment après l’éclatement de la Réforme au XVIe siècle. Dès les années 1530, le souffle de Luther et de Calvin franchit les Alpes et s’infiltre dans les hautes vallées françaises, dont le Queyras. Ici, dans cette terre pauvre et rude, l’éthique protestante trouve un écho : retour à une foi plus épurée, refus des fastes de l’Église catholique, accent mis sur l’indépendance de conscience. Ce sont surtout la haute vallée du Guil qui devient un foyer huguenot.
La coexistence avec les catholiques, parfois pacifique, devient violente à partir de 1685, lorsque Louis XIV révoque l’Édit de Nantes. Les temples sont alors détruits, les pasteurs venant de Genève et du Piémont, chassés, les enfants retirés à leurs familles pour être élevés dans la religion du roi. C’est le début des « dragonnades », ces campagnes de répression violente où les dragons du roi sont envoyés dans les foyers protestants pour forcer les conversions par la peur, la misère ou la force.
Mais dans le Queyras, comme dans d’autres vallées alpines (notamment chez les Vaudois des vallées piémontaises), la montagne devient un refuge. Les familles protestantes fuient dans les forêts, les grottes, les alpages reculés. Des cultes clandestins — appelés « assemblées du désert » — se tiennent de nuit, à flanc de falaise, près de torrents ou sous des abris de pierre. On lit la Bible en cachette. On chante les psaumes sans voix. Ces temps de clandestinité renforcent l’esprit de résistance. Pourtant, beaucoup finissent par fuir : plus de 300 familles du Queyras émigrent vers la Suisse, l’Allemagne ou les Pays-Bas, emportant avec elles une mémoire blessée et une foi intacte.
Le XVIIIe siècle marque un lent apaisement. L’Édit de Tolérance de 1787 permet aux protestants de pratiquer leur culte légalement, et la Révolution française leur rend leurs droits civiques. Certains temples sont reconstruits, comme à Abriès ou Ristolas, et de nouvelles églises réformées voient le jour. Le Queyras reste ainsi l’un des rares bastions protestants des Hautes-Alpes, aux côtés du Dévoluy et de la vallée de la Durance. La communauté, minoritaire mais enracinée, développe une culture spécifique : austérité, importance de l’éducation (avec des écoles protestantes pionnières), rôle central du texte biblique, solidarité des familles.
Aujourd’hui encore, cette mémoire est visible : temples sobres aux lignes claires, cimetières séparés, présence d’associations protestantes dans la vie locale. Mais elle vit aussi dans la toponymie (certains hameaux étaient surnommés « les Vaudois »), dans les récits familiaux, dans un certain rapport à la terre et à la transmission.
On peut encore randonner dans les lieux de rassemblement des Protestants. Autour d’Aiguilles, les fidèles se retrouvent de nuit au Serre de l’Aiguille, un promontoire boisé facilement accessible depuis le village, où les prêches étaient donnés à l’abri des regards. À Ristolas, c’est dans le bois de la Gypière, en lisière du hameau de l’Échalp, que se tenaient les cultes secrets, protégés par l’épaisseur des mélèzes et l’isolement naturel du lieu. Plus à l’ouest, vers Abriès, le ravin de Souliers, prolongement sauvage du vallon éponyme, servait de refuge et de point de repli en cas de poursuites. Ces lieux, aujourd’hui paisibles et accessibles par des sentiers de randonnée, portent encore dans leur silence l’écho d’une ferveur menacée, et témoignent de la résilience des communautés protestantes du Queyras.

La remontée du Guil, l’échappée sauvage
Remonter le Guil, c’est entrer dans une autre temporalité. C’est traverser une vallée sans station de ski industrielle, sans urbanisme démesuré, mais pleine de récits. Ceux des Réformés protestants, qui trouvèrent refuge ici. Ceux des contrebandiers, qui passaient par les cols. Ceux des artisans, des bergers, des enfants montés à l’école avec des raquettes.
C’est aussi goûter à une montagne habitée mais non domestiquée, qui a su rester elle-même. Une montagne de silence, de pierres sèches, d’eaux vives et de regards francs. Là-haut, au pied du mont Viso, vous comprendrez ce que signifie vraiment habiter la montagne.
À savoir pour préparer votre voyage :
- La D947, route du Guil, est spectaculaire mais étroite : conduire prudemment.
- En été, plusieurs navettes relient les villages.
- L’Échalp – col de Valante : 1100 m de dénivelé – 6h AR – balisé – à éviter par temps orageux.
- Le fromage local (bleu du Queyras), le miel, et les confitures de sureau sont à goûter absolument.
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